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LA PAILLE ET LES TROUBLES ALIMENTAIRES PÉDIATRIQUES

LA PAILLE ET LES TROUBLES ALIMENTAIRES PÉDIATRIQUES

Par Audrey lecoufle et Emeline Lesecq-Lambre

Vous recevez un petit patient qui présente une hypotonie bucco-faciale ? Un bavage ? Une protrusion de langue ? Des difficultés de mastication avec persistance de mouvements antéro-postérieurs de la langue ? OK !  Quel est l’outil fonctionnel, écologique et économique qui pourra aider cet enfant dans ses difficultés ? La paille, pardi ! Nous allons ici vous expliquer pourquoi la paille permet un entraînement de motricité orale efficace, que l’on a tendance à négliger ou à reléguer au rang des outils « has been ». Ressortez les pailles !

Voyons ensemble les différents effecteurs et la façon dont ils sont mobilisés pour aspirer à la paille : 

– Travail musculaire des lèvres : elles doivent se projeter vers l’avant en co-contraction (intéressant pour la fermeture de bouche au quotidien !), et enserrer la paille de manière étanche 

– Travail musculaire des joues qui sont tendues, contractées, permettant de créer le vide nécessaire à l’aspiration

– Travail musculaire de la langue : elle est en rétraction dans la bouche, derrière les dents, et stable (sa position permet de stabiliser la mandibule)

– Transformation de la succion en aspiration : il est important de veiller à la longueur de la paille introduite dans la bouche (si la paille est trop longue en bouche, cela peut entraîner une succion plutôt qu’une aspiration)

– Stabilité de la mâchoire : y veiller en apportant un éventuel soutien au niveau de la mandibule durant l’apprentissage si nécessaire. 

– Dissociation de la langue et de la mâchoire : la langue et la mâchoire ne font pas les mêmes mouvements en même temps

Durant la mastication, les joues aident à stabiliser le bolus et les lèvres à maintenir le bol alimentaire dans la bouche d’où l’intérêt d’avoir une bonne tonicité labiale et jugale ainsi qu’une bonne stabilité de la mâchoire ! La langue rétractée dans la bouche et la succion inhibée favorisent également l’émergence de mouvements latéraux de langue, indispensables à une bonne mastication !

Toutefois, d’autres aptitudes ou conditions doivent être réunies avant que l’enfant puisse boire efficacement avec une paille, comme le contrôle du tronc, un tonus de base, la coordination aspirer-avaler-respirer, etc.  

Intéressant, mais…comment lui apprendre à boire à la paille ?

L’enfant va devoir faire le lien entre l’introduction de la paille dans la bouche et l’aspiration. Pour cela, nous allons pouvoir utiliser certains outils (comme le Honey Bear ®, ou un contenant avec tuyau et corps souples). Nous pouvons ainsi plus facilement leur apprendre à faire le lien entre l’aspiration et l’arrivée du liquide en bouche en initiant l’arrivée de liquide dans la paille par une pression sur le contenant souple (« nounours paille » par ex) lorsque l’enfant ébauche un mouvement de projection labiale. Il fait donc le lien entre la bonne position des lèvres et de la langue qui est rétractée dans la bouche et l’arrivée de liquide dans sa bouche.

L’idéal est de surtout de commencer avec un liquide le motivant, l’envie est le moteur de l’apprentissage !  Le lien sera donc rapidement fait, on l’encouragera par la suite à s’entrainer avec cette paille. 

Quand considère-t-on que l’enfant sait boire à la paille ?

On considère que la compétence est acquise quand l’enfant est capable de boire 100 ml de liquide en 2 min ou moins avec la paille proposée. 

C’est ok ? Niveau atteint ! 😉

Parfois, il peut être difficile pour l’enfant d’accéder à cet apprentissage, il est toutefois important de le poursuivre afin d’ancrer le bon schème moteur et de renforcer les compétences abordées plus haut. Connaissant tous les intérêts au niveau oro-moteur de la paille, il est essentiel de ne pas s’avouer vaincu trop vite !

Et ensuite ?

Une fois que l’enfant s’est bien entraîné avec cet outil, nous allons le faire évoluer afin de renforcer le travail de la motricité oro-faciale :

– En allongeant la longueur de la paille

– En épaississant le liquide

– En diminuant le diamètre de la paille

– En changeant la forme de la paille

L’orthophoniste peut ainsi créer une hiérarchie de pailles, avec différents niveaux afin d’évaluer précisément où en est son patient et de renforcer ainsi sa tonicité bucco-faciale !

Quid du transfert dans le quotidien ?

On aura bien compris les multiples intérêts de boire à la paille dans les compétences oro-motrices des enfants que nous accompagnons ! Toutefois, la répétition étant la clé de l’acquisition de manière durable, il est nécessaire de permettre à l’enfant de s’entraîner à boire à la paille au quotidien et ainsi de proposer aux parents d’intégrer ce mode de prise de boissons dans le quotidien de l’enfant. 

L’orthophoniste réévaluera régulièrement les capacités de l’enfant sur la paille et validera les niveaux de la hiérarchie des pailles qu’il aura construite. 

Petit à petit, le soutien mandibulaire ne sera plus nécessaire, la langue sera de plus en plus en rétraction dans la bouche, le bavage diminuera… et nous pourrons alors entraîner les mouvements latéraux de la langue, afin d’avoir une mastication plus efficace ! Le tour est joué !

Il est essentiel d’expliquer aux parents tous ces intérêts à la paille afin d’obtenir leur adhésion et de favoriser un partenariat efficace de manière durable !

Bibliographie

Morris, S., Klein, M. (2000). Pre-feeding Skills. A comprehensive resource for mealtimedevelopment. Pro Ed.

Overland, L., Merkel-Walsh, R. (2013). A Sensory Motor Approach to Feeding. Talk Tools