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La dyspraxie verbale, la reconnaître pour mieux la traiter

La dyspraxie verbale, la reconnaître pour mieux la traiter

Par So Spitch

Cet échange est extrait du podcast Orthospower #58 : Lucie Cambrai y discute avec Laura Le Diffon et Élodie Fabrègues, orthophonistes, d’un trouble parfois mal connu : la dyspraxie verbale.

Lucie : Bonjour à toutes les deux. Merci d’être là pour parler de la dyspraxie verbale, un sujet qui suscite encore beaucoup de questions. Pour commencer, est-ce que vous pouvez vous présenter brièvement ?

Laura : Je suis orthophoniste depuis une quinzaine d’années. J’ai toujours eu une appétence pour les troubles du langage oral, en particulier la phonologie et la dyspraxie verbale. J’exerce en cabinet libéral.

Élodie : Moi aussi, je suis en libéral depuis une quinzaine d’années. J’ai commencé à me spécialiser dans les troubles du langage oral il y a plusieurs années, et petit à petit, je me suis intéressée de plus près à la dyspraxie verbale. On s’est rencontrées avec Laura autour de cet intérêt commun.

Lucie : Pour qu’on parle tous le même langage, est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous entendez par “dyspraxie verbale” ?

Élodie : C’est un trouble de la programmation motrice de la parole. L’enfant a du mal à organiser les mouvements nécessaires à l’articulation des sons, alors que les organes articulatoires sont intacts. Il sait ce qu’il veut dire, mais il ne parvient pas à le produire correctement.

Laura : Oui, et ce qui est caractéristique, c’est que les erreurs sont souvent variables. Un même mot peut être produit différemment d’un essai à l’autre. C’est un trouble qui touche la planification motrice, pas la phonologie au sens strict.

Lucie : Comment on fait pour repérer une dyspraxie verbale en bilan ?

Laura : Ce n’est pas simple, surtout chez les jeunes enfants. Il faut être attentif à la variabilité des erreurs, à la difficulté à imiter, à la prosodie étrange, à l’effort visible lors de la production. Parfois, l’enfant a du mal à produire volontairement un son qu’il utilise spontanément dans d’autres contextes.

Élodie : Et ce qui met aussi la puce à l’oreille, c’est l’absence de progression malgré un travail phonologique intensif. On a des enfants qui stagnent, chez qui les gestes articulatoires ne s’automatisent pas, ou très difficilement. On se rend compte que quelque chose coince au niveau moteur.

Lucie : Est-ce qu’il existe un outil d’évaluation spécifique pour la dyspraxie verbale ?

Élodie : Il y en a quelques-uns, mais ils ne sont pas tous validés en français. On peut s’appuyer sur des grilles d’observation, des listes de symptômes, des tests articulatoires, mais ça demande souvent de croiser plusieurs sources d’information.

Laura : On peut aussi filmer l’enfant pour revoir les productions à tête reposée. Ça aide à mieux analyser la variabilité, les erreurs d’insertion de sons, les approximations. Et puis, le ressenti clinique reste fondamental : il y a des choses qu’on sent avec l’expérience.

Lucie : Est-ce que vous travaillez parfois avec d’autres professionnels pour poser le diagnostic ?

Laura : Oui, c’est fréquent. On peut faire appel à des neuropédiatres, psychomotriciens, parfois même à des ORL. Parfois, la dyspraxie verbale est associée à d’autres troubles développementaux, donc le diagnostic peut être posé dans un cadre plus large.

Élodie : C’est important d’avoir une vision globale. Il peut y avoir un TSA, une dyspraxie globale, un trouble du développement intellectuel… La parole n’est qu’un aspect. Et puis, on ne travaille pas dans l’idée d’un “diagnostic pur” : ce qui compte, c’est d’adapter l’accompagnement.

Lucie : Justement, comment vous adaptez vos prises en soin avec ces enfants-là ?

Élodie : La priorité, c’est de rendre la communication possible. Parfois, ça passe par des outils de CAA, parfois par un système de gestes. On essaie de créer un canal de communication efficace, sans attendre que la parole se mette en place.

Laura : Oui, c’est important de ne pas tout miser sur l’oral. On peut travailler la parole en parallèle, bien sûr, mais il faut aussi proposer d’autres moyens pour que l’enfant puisse s’exprimer. Sinon, on risque de renforcer les frustrations et les troubles du comportement.

Lucie : Vous commencez comment, en général ?

Laura : On évalue ce que l’enfant est capable de faire, ce qui fonctionne spontanément. Par exemple, certains enfants parviennent à produire des onomatopées, des voyelles isolées, des mots très simples. On part de là, en construisant des routines, des automatismes.

Élodie : Et on fait beaucoup de travail articulatoire, mais sous forme de jeux, de rituels. Il faut que ce soit motivant, répétitif, mais sans être rébarbatif. L’enfant doit pouvoir réussir pour garder confiance.

Lucie : Est-ce qu’il y a des pièges à éviter quand on prend en soin un enfant dyspraxique verbal ?

Laura : Oui. Le premier, c’est de vouloir aller trop vite. Il faut du temps, parfois des années, pour construire un répertoire de mots stables. Un autre piège, c’est de s’acharner sur des sons isolés sans les remettre en contexte. Il vaut mieux travailler des séquences fonctionnelles.

Élodie : Il ne faut pas non plus sous-estimer la charge cognitive. Produire un mot peut être très coûteux pour l’enfant. Il faut doser l’effort, proposer des temps de récupération, varier les modalités. Et ne pas oublier que la parole, ce n’est pas tout. La communication passe aussi par le regard, les gestes, les émotions.

Lucie : Est-ce qu’on peut espérer des progrès dans ces cas-là ?

Élodie : Oui, bien sûr. Les enfants progressent, même si ça prend du temps. Certains finissent par parler de manière intelligible, d’autres gardent des difficultés. Mais ils peuvent tous apprendre à communiquer efficacement si on leur donne les bons outils.

Laura : Et il y a aussi des moments très forts. Quand un enfant dit pour la première fois “maman” ou “je t’aime”, après des mois ou des années de travail, c’est bouleversant. Ce sont de petites victoires qui comptent énormément.

Lucie : Est-ce que vous avez des exemples de situations cliniques qui vous ont marquées ?

Laura : Oui. Je me souviens d’un enfant qui ne disait aucun mot à l’entrée en CP. On avait mis en place une CAA avec pictogrammes et synthèse vocale. On a travaillé pendant trois ans sur des séquences orales courtes. Aujourd’hui, il parle en phrases simples. Il garde des erreurs, mais il est compris. Et surtout, il a retrouvé confiance.

Élodie : Moi, je pense à une petite fille qui produisait des sons très déformés. On a beaucoup travaillé les praxies bucco-faciales, les appuis tactiles, la conscience phonologique. Elle a fini par produire son prénom correctement, et elle en était très fière. C’était un tournant dans sa scolarité.

Lucie : Comment réagissent les familles en général ?

Élodie : Il y a souvent de l’incompréhension au début. La dyspraxie verbale est peu connue, même par certains professionnels. Les parents ont besoin d’explications simples, concrètes. Et surtout, ils ont besoin d’espoir. On leur montre les progrès possibles, les alternatives.

Laura : Et on les implique. Ce sont eux qui vivent au quotidien avec l’enfant. On leur propose des activités à faire à la maison, des supports, des stratégies. Ils deviennent nos partenaires.

Lucie : Vous avez parlé de CAA. Est-ce que c’est systématique chez vous ?

Laura : Pas forcément, mais on y pense très tôt. On en parle avec les familles, on explore les outils possibles. Parfois, un simple classeur d’images suffit. Parfois, il faut une tablette avec une synthèse vocale. L’idée, c’est d’offrir une vraie autonomie de communication.

Élodie : Il faut aussi former les enseignants, les AESH. La CAA ne fonctionne que si l’environnement joue le jeu. Ce n’est pas magique. Il faut l’intégrer au quotidien, à la maison, à l’école, dans les loisirs.

Lucie : Vous travaillez en réseau avec d’autres orthos sur ces situations ?

Élodie : Oui, dès que possible. On partage les bilans, les observations. Parfois, on co-construit des séances, on échange sur les outils. C’est précieux d’avoir un regard extérieur, surtout sur des cas complexes.

Laura : On se sent moins seul, et ça évite de tourner en rond. Chaque enfant est différent. Le collectif aide à ajuster les prises en soin, à sortir de nos automatismes.

Lucie : Est-ce que vous avez des ressources à recommander pour les orthos qui veulent mieux comprendre la dyspraxie verbale ?

Laura : Il y a quelques articles scientifiques en français, mais aussi pas mal de ressources en anglais. Et surtout, il faut observer, écouter, tester. L’expérience reste la meilleure source d’apprentissage.

Élodie : Et il ne faut pas hésiter à en parler entre collègues. À échanger sur les cas, à poser des questions. Il n’y a pas de solution miracle, mais il y a des pistes, des outils, des idées à partager.

Lucie : Pour conclure : selon vous, quel est le super pouvoir des orthophonistes ?

Laura : S’adapter. Trouver des chemins là où il n’y en avait pas. Inventer des ponts entre le patient et le monde.

Élodie : Et persévérer. Continuer à croire qu’un jour, ça marchera. Même si c’est parfois long, chaque mot gagné compte.

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Cet échange est tiré d’un épisode complet du podcast Orthospower. Vous pouvez l’écouter en intégralité ci-dessous ou le retrouver sur votre plateforme préférée.