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Travailler les aigus pour la féminisation de la voix

Travailler les aigus pour la féminisation de la voix

Par Juliette Defever et Thomas Pintiaux

Ah…si tout était si simple

On pourrait penser qu’en orthophonie, travailler les aigus avec ses patientes transgenres, c’est jouer sur le critère de hauteur. Mais est-ce que c’est pertinent ? Est ce que c’est efficace ? Suffisant ? Certaines femmes ont des voix super graves ? Et certains hommes ont des voix haut perchées ? Ahhhh, mais alors, je fais quoi ???

La hauteur de la voix, qu’on mesure en Hertz (Hz) est bien évidemment différente selon chaque individu. Il a toujours été très compliqué pour les auteurs, dans la littérature, de se mettre d’accord sur une valeur de hauteur moyenne en fonction du genre. C’est pour cela qu’on entend plus souvent parler de hauteur comprise entre 100 et 150 Hz pour le genre masculin et 140 et 240 Hz pour le genre féminin (Arnold, 2015). Mais une moyenne comprise entre 140 et 240 Hz ce n’est quand même pas très précis me direz-vous, et c’est bien vrai. 

De nombreuses études ont pu montrer que la hauteur avait un rôle non négligeable dans la perception du genre du locuteur. Généralement, la société attend donc des individus, qu’une femme ait une voix aigüe (ou du moins plus aigüe qu’un homme) et qu’un homme ait une voix grave (ou du moins plus grave qu’une femme). Malgré cela, on peut constater deux choses : L’aggravation progressive des voix féminines et l’existence de voix masculines aiguës et féminines graves.

Concernant l’aggravation progressive des voix féminines, on remarque qu’au cours des années, la moyenne vocale féminine tend à diminuer. Il semblerait que cette aggravation vocale soit liée à la place grandissante des femmes dans les postes à plus haute responsabilité. Femmes politiques, journalistes, cheffe d’entreprise, cheffe d’équipe… Leur autorité s’affirmerait donc plus facilement à travers l’utilisation d’une voix plus grave.

Aussi, depuis toujours et encore aujourd’hui, on connait toutes et tous des femmes à la voix grave et des hommes à la voix aiguë. Pour vous remettre quelques-unes de ces voix en tête, je vous invite vivement à aller écouter ou réécouter Anna Mouglalis et Willy Rovelli par exemple. Ces personnes ne possèdent pas une voix rentrant dans les normes de la société. Et pourtant, fermez les yeux et réécoutez Anna Mouglalis, il n’y a pas de doute sur son genre. A l’inverse, si on demandait à un homme ayant une voix naturellement grave, d’augmenter sa hauteur vocale, il est fort probable que le rendu paraisse trop exagéré, caricaturé, et même fake. Ce n’est donc pas la hauteur qui rendrait une voix féminine, ou en tout cas, ce ne serait pas le seul déterminant du genre. Il nous faut donc chercher autre part. 

Récapitulons d’abord brièvement les différents paramètres vocaux : hauteur, timbre, prosodie et intensité. Comme nous l’avons vu, la hauteur n’est pas le seul déterminant du genre du voix. Le timbre, la prosodie et l’intensité jouent-ils donc un rôle dans cette identification ?

Et bien parlons dans un premier temps du timbre. Il est unique à chaque personne car il dépend de deux critères : La forme et la taille du conduit vocal d’une part et l’utilisation qu’on en fait d’autre part.
La prosodie consiste quant à elle en la combinaison d’intonations, d’un rythme qui vous est propre, de pauses dans le discours et de variations de durée de sons. (Morlec, 2019).
Enfin, l’intensité, très variable, correspond à la puissance du son produit. 

Comme vous êtes en train de le comprendre, nous utilisons tous ces caractéristiques vocales de manières différentes, à l’image d’un peintre qui pourrait construire des centaines de nuances de vert à partir de bleu et de jaune. La moindre dose aura un impact sur le résultat. Son vert pourra donc varier du très clair au très foncé comme une voix pourra osciller du masculin au féminin en fonction des petits réglages qu’on va y apporter. Globalement, la recette pour obtenir une voix féminine serait une hauteur entre 140 et 240 Hz, un conduit vocal de taille restreinte (=larynx haut), une articulation antérieure, des intonations prononcées accompagnées d’un rythme spécifique. Tout cela sera bien évidemment adaptable à chaque personne. Les dosages d’ingrédients étant variables à l’infini, chaque voix, même féminine, sera unique.

Enfin, un élément peu quantifiable sera à prendre en compte lors de tous ces réglages : l’émotion. Notre voix reflète nos sentiments, nos humeurs, qui relèvent parfois de l’intime mais cela ne devra pas être mis de côté, ça ne devra pas être négligé, car comme le disait joliment George Sand : « La voix est l’interprète du cœur et de l’âme, expression de la vérité et des plus tendres sentiments. ».

BIBLIOGRAPHIE
Arnold, A. (2015). Voix et transidentité : changer de voix pour changer de genre?.
Langage et société, (1), 87-105.
Morlec, Y. (n.d.). Une approche globale pour l’apprentissage automatique de
l’intonation du discours. Récupéré le 3 avril 2019 de :
http ://www.gipsa-lab.fr/~gerard.bailly/publis/synthese/_ym/prosody_ym_SC96.ps