Cognition mathématique : 5 freins qui compliquent nos prises en soins (et comment les dépasser)

Par So Spitch
En tant qu’orthos, on a toutes déjà eu ce sentiment de naviguer à vue lorsqu’il s’agit de rééduquer les compétences mathématiques. Entre une formation initiale insuffisante, des courants théoriques contradictoires et du matériel pioché à droite à gauche, on finit par se demander : est-ce que ce que je fais a vraiment du sens ?
Ces questions, on est nombreuses à se les poser : les troubles des apprentissages mathématiques, c’est une part non négligeable des troubles des apprentissages et pourtant on manque de lignes directrices claires.
Conséquence ? On a parfois l’impression d’improviser, on n’a pas assez confiance en ce qu’on propose, et on a le sentiment de ne pas être à la hauteur pour répondre aux besoins du patient.
Dans cet article, on va explorer cinq problématiques que l’on rencontre dans notre pratique :
Le manque de repères clairs.
La confusion avec le domaine scolaire.
Les pratiques peu spécifiques.
La difficulté à poser un diagnostic.
La trop faible prise en compte de l’aspect psycho-affectif.
Alors concrètement, comment ça se traduit quand on est face à un patient ?
C’est ce qu’on va voir tout de suite :
Le manque de repères clairs en cognition math
Le premier gros souci, c’est le manque de repères. Oui, internet regorge de ressources : des articles, des livres, plein de matos gratuit ou payant, des mémoires, des vidéos Youtube, etc. Chacune apporte des indices intéressants et utiles mais dans l’ensemble, ça peut toujours nous paraître aussi flou… voire nous embrouiller encore plus.
Résultat : on est toujours en train d’hésiter. Est-ce que je commence par bosser le comptage ? Consolider le sens des quantités ? Automatiser les faits arithmétiques ? Aaaaarggghhh ! C’est encore plus incertain qu’une relation avec un mec anxieux-évitant.
Certaines le disent d’ailleurs clairement : “Je me demande si je vais dans la bonne direction”, “Je change parfois en fonction de ce que je trouve…”, “J’ai un peu l’impression de construire mes séances à l’instinct… mais je ne suis pas très sûre de ce que je fais…”.
Pourtant, on a du bol : la recherche nous offre un cadre théorique fiable et précis, alors profitons-en !
Les repères comme le développement des habiletés numériques ou des systèmes de quantification, comme le subitizing, nous donnent des balises hyper-importantes. Parce que quand on sait situer un patient par rapport à ces étapes, alors on peut définir des objectifs de prise en soins progressifs et cohérents.
Sans points de repère, on tâtonne… C’est normal, et c’est une généralité dans notre pratique, quel que soit le domaine : connaître le développement typique est le point de départ pour analyser les compétences d’un patient, savoir comment travailler avec lui par la suite et avoir confiance en ce qu’on lui propose.
La confusion avec le soutien scolaire
Problème numéro deux : la frontière floue entre orthophonie et scolaire. Enfin, en théorie on sait que ça n’a rien à voir… mais en pratique on se demande quand même : “est-ce que je devrais connaître le programme scolaire de maths pour accompagner mon patient ?”
En même temps, les demandes venant des familles et de l’école sont formulées en termes scolaires, forcément (“il se trompe dans ses divisions”, “il ne retient pas les tables”…). À nous de traduire ça en termes orthophoniques en allant analyser les processus sous-jacents pour voir ce qui pèche et ce qu’on peut travailler (ou pas) :
Par exemple, si un enfant galère en calcul mental, la question n’est pas seulement de savoir s’il connaît ses tables. Un panel de questions se posent : la mémoire de travail, qu’est-ce que ça dit ? Le patient a-t-il accès aux faits numériques ? Comprend-t-il le sens de l’opération ? Etc.
En résumé : L’école enseigne. L’orthophonie rééduque les fondations cognitives qui rendent possibles les apprentissages, quand une ou des conditions (comme un trouble neurodéveloppemental tel que le troubles spécifique des apprentissages mathématiques) les entravent.
C’est vraiment important d’être au clair avec cette distinction : nous n’avons pas à porter le poids du programme scolaire, ni à le suivre à la lettre, tout simplement. Notre rôle à nous c’est d’exercer notre expertise, équipée de nos outils, nos bilans, notre bagage théorique et clinique.
Les pratiques peu spécifiques
Troisième problématique : l’absence de spécificité. Il arrive que nos séances reposent sur des infos piochées çà-et-là : la notice d’un matériel ou d’un test, une fiche gratuite téléchargée sur un site et des notes de lecture d’un mémoire. En soi, récolter des ressources pour nos prises en soins, c’est ce qu’on fait toutes pour plein de pathos, et c’est très bien.
Le problème se pose lorsqu’on n’arrive pas à en dégager un fil conducteur et une progression parce que les fondations théoriques ne sont pas assez claires pour nous. Du coup, la pertinence clinique de ce qu’on propose reste limitée et c’est frustrant.
Combien sommes-nous à avoir déjà pensé : “c’est sympa ces séances, mais là j’ai l’impression qu’on commence à plafonner un peu…”
On le sait, nos jeux (qu’ils soient estampillés ortho, ou que ce soient des jeux du commerce), ne sont thérapeutiques que si on les utilise avec des objectifs bien précis et une idée claire des mécanismes sous-jacents. À partir de là, tout peut servir en rééducation de la cognition math :
- Un jeu de plateau, tout comme une poignée de trombones peuvent travailler la comparaison de quantités,
- Ils peuvent aussi bien travailler le transcodage si on adapte les règles dans ce sens,
- Et ils peuvent aussi… être un simple divertissement si l’objectif manque de précision.
Bien évidemment, nous avons aussi besoin de matériels spécifiques, pensés pour cibler exactement les processus cognitifs impliqués dans les troubles des apprentissages mathématiques. Mais la spécificité ne tient pas seulement au matos mais aussi à la compréhension fine que nous avons des difficultés du patient et à l’intention thérapeutique que nous mettrons derrière chaque jeu ou exercice.
La difficulté à poser un diagnostic en cognition mathématique
Quatrième problématique : la difficulté à poser un diagnostic clair de TAM (Trouble des Apprentissages en Mathématiques) ou de TSAM (Trouble Spécifique des Apprentissages en Mathématiques).
On hésite, on tergiverse, on repousse… Mais pourquoi ?
Et bien d’abord, on a peur de se planter (logique, si notre formation initiale ne nous a pas bien équipées sur ce point, ou qu’elle date un peu trop…).
On manque d’outils adaptés.
Enfin, on se demande si la sentence n’est pas trop lourde pour le patient : “trouble des apprentissages mathématiques”, ça sonnerait pas un peu fataliste ?
L’ennui, c’est que ces hésitations ont des répercussions : elles laissent les parents dans le flou, elles retardent la mise en place de solutions adaptées… et puis elles entretiennent l’impression qu’il n’y a pas grand-chose à faire.
Pourtant, des critères et des batteries d’évaluation permettent d’objectiver les difficultés et de poser un cadre clinique solide et indispensable.
Et puis, on le sait : poser un diagnostic ne signifie pas enfermer un enfant mais au contraire, reconnaître la réalité de ses difficultés. C’est la base pour lui construire un projet thérapeutique pertinent. Ça permet aussi de valider le ressenti du patient en l’aidant à comprendre ses propres difficultés et d’expliquer aux parents ce que vit leur enfant.
Renforcer nos compétences dans la pose du diagnostic de TSAM est donc une étape clé : ça demande de mieux connaître les outils de bilan à notre disposition, de nous former à leur utilisation et enfin, d’oser poser ces diagnostics qui font totalement partie de notre champ de compétence.
La faible prise en compte de l’anxiété mathématique
Cinquième et dernière problématique : l’aspect psycho-affectif.
Combien d’enfants disent d’eux-mêmes “je suis trop nul en maths” ? Combien refusent même d’essayer un exercice par peur de se tromper ?
L’anxiété face aux maths existe bel et bien et elle peut carrément saboter les performances même quand les compétences sont là.
Et derrière ce blocage, il y a souvent un vécu scolaire déjà marqué par les comparaisons, les échecs et la perte de confiance en soi.
Les parents aussi peuvent influencer cette dynamique. Certains sont inquiets et mettent la pression sans forcément le vouloir, ce qui renforce la peur de l’échec de l’enfant. D’autres ont eux-mêmes développé un rapport négatif à cette matière… et la transmettent malgré eux. Les devoirs et les leçons deviennent un moment de tension et le cercle vicieux de l’anxiété se met en place.
On ne peut pas ignorer cet aspect psycho-affectif car on passerait à côté d’une partie du problème. À l’inverse, on pourra créer un espace sécurisant autour des maths en valorisant les réussites, et en aidant l’enfant et ses parents à reconstruire une relation plus apaisée avec ces apprentissages. C’est un élément indispensable pour progresser dans la rééducation.
Quelles solutions envisager en cognition math ?
La bonne nouvelle c’est que retrouver du pep’s et de la confiance dans nos prises en soins en cognition math, c’est possible. Voici des pistes de solutions correspondant aux problématiques qu’on a vues :
1 – Du manque de repères à des repères clairs : s’appuyer sur les connaissances scientifiques, intégrer les modèles validés, et construire nos prises en soin sur des balises solides.
2 – Être au clair avec notre rôle : nous ne sommes pas enseignantes. Notre expertise est clinique, centrée sur les processus cognitifs.
3 – Chercher la spécificité dans ce que nous proposons en séance : choisir du matériel précis, utiliser chaque jeu avec un objectif thérapeutique en tête, et inscrire chaque activité dans une progression.
4 – Assumer nos compétences diagnostiques : utiliser les batteries disponibles, se former à leur administration, et assumer pleinement notre rôle dans l’identification des troubles.
5 – Prendre en compte le vécu psycho-affectif : reconnaître l’impact de l’anxiété, l’évaluer grâce à des échelles et des questionnaires fonctionnels, offrir un espace sécurisant, et accompagner les familles.
Conclusion
Les troubles des apprentissages mathématiques sont un champ passionnant de notre pratique, et ces prises en soins sont déterminantes pour l’avenir de certains de nos patients.
Pourtant, aujourd’hui encore on peut avoir l’impression de manquer de repères et de ressources pour le bilan, le diagnostic, comme la rééducation en elle-même.
Ces difficultés influencent directement l’efficacité de nos interventions, voire freinent notre envie de nous lancer dans ces prises en soins.
Mais les identifier, c’est déjà un premier pas vers les solutions : en s’équipant de repères et d’un cadre théorique actualisé, d’outils précis pour le bilan et la prise en compte des aspects psycho-affectifs, et en affirmant notre rôle et nos compétences diagnostiques dans ce domaine, l’efficacité et le sentiment de légitimité sont vite au rendez-vous !
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