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Si on m’avait appris les maths comme ça… !

Si on m’avait appris les maths comme ça… !

Par So Spitch

Line De Clercq est logopède, formatrice et créatrice de matériels pour la cognition mathématique (Mission Transcodage, Dare Dare Mathématiques, Mission excursions 10 sur 10 et Tables et croquettes chez Kerozenn).

Dans cet échange issu du podcast Orthospower avec Lucie Cambrai, elle vous partage sa manière de travailler la cognition math et sa vision de l’accompagnement des enfants et ados dans ce domaine.

Lucie : Aujourd’hui, on va parler de cognition mathématique, un sujet que je ne maîtrise pas du tout. Je ne me suis pas formée depuis ma sortie d’école, il y a vingt-deux ans, dans ce domaine. À l’époque, on parlait davantage de logico-mathématiques. Maintenant, on dit plutôt cognition mathématique. C’est toi qui m’as contactée pour me proposer ce thème, et j’étais ravie, car je cherchais depuis longtemps une orthophoniste ou logopède qui puisse en parler. Je te laisse te présenter.

Line : J’exerce en libéral en Belgique. J’ai été diplômée en juin 2018 de la Haute École de la ville de Liège. J’ai d’abord travaillé un an dans un centre pluridisciplinaire, puis j’ai eu envie de créer mon propre centre à destination des enfants présentant des troubles neurodéveloppementaux. J’ai monté une équipe avec une logopède, une psychologue et une neuropsychologue. L’ambiance était très agréable.

Malheureusement, en 2021, mon centre a été inondé et j’ai dû le fermer. Mon mari a aménagé un cabinet à domicile et j’y poursuis mon activité. J’ai aussi travaillé cinq ans en centre psycho-médico-social, aux côtés de psychologues, assistants sociaux, infirmières. J’y avais un rôle préventif et de soutien auprès des familles et des enseignants, avec une immersion directe dans les classes. J’ai quitté ce poste et depuis septembre dernier, je travaille à mi-temps dans une école secondaire, en parallèle de mon activité indépendante, pour soutenir des élèves en difficulté avec un plan individualisé d’apprentissage.

Lucie : Et à partir de quand as-tu senti une attirance pour la cognition mathématique ?

Line : Ça a commencé pendant mes études, notamment lors d’un Erasmus en Nouvelle-Calédonie. J’y ai rencontré une orthophoniste, Laurine Fritsch, qui est devenue ma maître de stage. Elle était passionnée par la cognition mathématique et m’a beaucoup transmis. Grâce à elle, j’ai découvert que les mathématiques pouvaient être concrètes, avoir du sens et se vivre dans des situations réelles. J’ai eu moi-même des déclics en séance avec des enfants, en me disant : « Si on m’avait appris les maths comme ça, je les aurais aimées dès le départ ! ».

Après mon diplôme, j’ai suivi différentes formations et j’ai beaucoup lu : articles, thèses, ouvrages spécialisés. Même en vacances, j’emporte mes livres de cognition mathématique. Ce sujet me passionne.

Lucie : Comment expliques-tu la cognition mathématique aux parents ?

Line : Je leur dis que c’est un domaine très large, qui englobe la numération, l’arithmétique, la résolution de problèmes, mais aussi des compétences de base. On associe souvent cela à l’école, alors qu’en réalité, on en rencontre dans la vie quotidienne : lire l’heure, faire ses courses, gérer de l’argent.

J’ai eu récemment une patiente adulte, aide-soignante, qui devait passer un brevet d’infirmière et rencontrait de grandes difficultés en maths. Elle n’avait jamais été diagnostiquée. Elle est venue faire un bilan complet, et c’était très intéressant de travailler avec elle sur ces compétences. Mais en dehors de ce cas particulier, je prends surtout des enfants et des adolescents.

Lucie : Quels liens fais-tu entre cognition mathématique, langage oral et langage écrit ?

Line : Tout est lié. Pour résoudre un problème mathématique, il faut pouvoir passer du langage écrit au langage mathématique. Il faut comprendre le texte, décoder, puis traduire en opérations. C’est pourquoi mes bilans incluent aussi bien des épreuves de langage oral et écrit que des tests spécifiques aux mathématiques.

Lucie : Combien de temps dure un bilan en Belgique ?

Line : Officiellement, c’est cinq demi-heures. Mais je dépasse souvent ce cadre, car je veux prendre le temps de bien cibler les difficultés. Je fais passer des épreuves standardisées mais aussi des tests « maison ». Je prends beaucoup de temps avec les parents pour comprendre l’histoire de l’enfant et leur ressenti. Je propose aussi parfois des questionnaires sur l’anxiété liée aux maths.

En début de prise en charge, je propose aux enfants un portrait chinois des mathématiques : « Si les maths étaient un animal, un objet, une couleur… ». Ça me permet de connaître leur ressenti et de comparer leur perception après plusieurs mois.

Lucie : Comment accompagnes-tu les parents qui se sentent démunis ?

Line : Je leur conseille de lâcher prise par rapport au scolaire. Quand ils me disent « il ne sait pas multiplier » ou « il ne comprend pas la division », je leur demande de revenir à la base : est-ce que l’enfant comprend ce qu’est une opération, ce qu’est additionner ou soustraire ? Ensuite, je propose de réintroduire les maths dans des situations du quotidien : jouer à la marchande, fixer des prix sur des bonbons, cuisiner en mesurant les quantités, adapter une recette pour plus de convives. L’idée est de dédramatiser et de recréer de la curiosité.

Parfois, j’invite les parents à assister à une séance. Ils voient comment je laisse à l’enfant un espace de réflexion, sans le couper ni corriger trop vite. Ça leur permet de changer leur regard.

Lucie : Tu utilises beaucoup de matériel concret ?

Line : Oui, énormément. Le matériel Montessori, par exemple, est très utile pour représenter le système décimal. J’utilise aussi le collier des mille perles, qui aide à visualiser la ligne numérique. Avec certains enfants, c’est un vrai déclic.

J’aime aussi la balance arithmétique, qui permet de travailler la décomposition, la notion d’égalité, les multiplications. J’ai un petit théâtre avec des rideaux, où je présente une quantité puis la fais changer. L’enfant doit expliquer ce qui s’est passé : a-t-on ajouté, retiré, combien ? Avec les plus petits, j’introduis une licorne qui fait « disparaître » des objets. C’est ludique et concret.

Lucie : Est-ce que tu intègres aussi les avancées des neurosciences et de l’EBP dans ta pratique ?

Line : Oui. On est sortis du modèle des stades logiques de Piaget. Beaucoup de chercheurs travaillent désormais spécifiquement sur la cognition mathématique : Stanislas Dehaene, Stella Baruk sur l’aspect pédagogique, Rémi Brissiaud sur le comptage, Michel Fayol, Anne Lafay… Tous apportent des perspectives intéressantes.

Un point marquant est la prise en compte des « comptages discontinus » et des erreurs récurrentes chez les enfants. Ces recherches me permettent d’affiner mes interventions et de mieux comprendre les stratégies de mes patients.

Lucie : Quels ouvrages conseillerais-tu à des orthophonistes qui voudraient se lancer ?

Line : Le livre Les troubles de la cognition mathématique d’Anne Lafay, Marie Villain et collaborateurs est incontournable. Il est théorique mais très riche. Pour des pistes plus concrètes, on peut aller vers la collection Rééducation orthophonique chez Orthoédition, avec des ouvrages centrés sur le calcul. Enfin, La bosse des maths de Stanislas Dehaene reste un grand classique.

Lucie : Ta pratique a-t-elle évolué depuis tes débuts ?

Line : Oui, beaucoup. J’autorise désormais davantage les parents à entrer en séance. J’ai aussi appris à travailler la répétition et l’automatisation : un objectif n’est pas acquis en quelques séances, il faut revenir, consolider. Et puis je sélectionne mon matériel avec plus de précision : je préfère des supports ciblés plutôt que des jeux trop polyvalents.

Lucie : As-tu une anecdote qui t’a particulièrement marquée ?

Line : Oui, un garçon que j’ai suivi pendant deux ans. Au départ, il était découragé et détestait les maths. Nous avions parié qu’il finirait par les aimer. Au fil du temps, il revenait en séance en racontant ses réussites : « J’ai aidé une copine », « j’ai réussi mon contrôle », « j’ai montré une technique à la maîtresse et toute la classe l’utilise maintenant ».

Le jour où je lui ai annoncé qu’il n’avait plus besoin de moi, il a pleuré. Il m’a offert un dessin, des chocolats, et il m’a serrée très fort en disant : « On a gagné notre pari ». Sa maman m’a dit récemment qu’il parlait encore de moi. C’est une belle reconnaissance.

Lucie : On a évoqué ton parcours, les liens entre langage et cognition mathématique, les bilans, l’accompagnement des parents, le matériel, les références scientifiques et des exemples concrets de prise en soin. As-tu un dernier message pour conclure ?

Line : Oui. J’aimerais dire que pour prendre en soin la cognition mathématique, il n’est pas nécessaire d’être « bon en maths ». C’est un domaine où l’on peut prendre beaucoup de plaisir et nourrir sa créativité.

Lucie : Dernière question, pour toi quel est l’Orthospower des orthophonistes ?

Line : La créativité. Notre métier nous permet d’imaginer, d’inventer, de concevoir du matériel, et de mettre cette créativité au service des patients.

Lucie : Merci beaucoup, Line, pour cet échange.

Line : Merci à toi, Lucie. J’ai été très heureuse de réaliser ce podcast avec toi.

👉 Pour écouter l’entretien complet avec Line, utilisez le lecteur ci-dessous ou rendez-vous sur votre plateforme de podcast favorite.

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