Respire, respire, respire !
Par Aurélie Ravera-Lassalle
Quand on parle du fonctionnement de l’appareil vocal, on a pour habitude de le présenter en trois parties : la soufflerie, le vibrateur et les résonateurs. Chaque partie est donc abordée de façon pédagogique individuellement l’une après l’autre dans cet ordre, lors de nos enseignements.
Si cette façon de présenter sert la pédagogie, cela peut desservir la rééducation car les futures orthophonistes rééducatrices vont alors aborder la prise en charge d’un point de vue respiratoire avant d’aborder le vibrateur laryngé et les résonateurs, en faisant souvent la part (trop ?) belle à la soufflerie.
S’il est commode dans l’enseignement de séparer les trois étages de l’appareil vocal. Les trois systèmes interagissent les uns sur les autres. Le bon fonctionnement de l’un favorise le bon fonctionnement de l’autre [Herbts, 2016]. On peut donc aborder la prise en charge, non pas du point de vue de la respiration mais du point du vue du vibrateur, ou des résonateurs. Une meilleure résonance du son semble faciliter la vibration des cordes vocales. Il existe une rétroaction des résonateurs sur le larynx qui améliore l’efficience vocale [Titze, 2008]. Par ailleurs, cet effet de rétroaction agirait aussi sur le recrutement respiratoire. Le geste vocal n’est donc pas uniquement un processus qui irait de la soufflerie vers la résonance mais aussi de la résonance vers la soufflerie en passant par le vibrateur.
Production sonore, rhèse phonatoire et pression sous-glottique
De plus, s’il faut de l’air pour produire un son, ce n’est pas tant la quantité qui compte que la façon de le gérer. En effet, si le temps maximum de phonation moyen est de 10s chez l’enfant, de 15s chez les femmes, de 16s chez les hommes. La rhèse phonatoire moyenne, autrement dit, la durée moyenne de nos phrases en conversation courante (pour dire « passe-moi le sel » ou « elle est bonne ta quiche ») est de 4s. En voix chantée, le TMP des femmes est de 18s et celui des hommes de 20s et la moyenne des rhèses phonatoires chantée est certes plus élevée (surtout dans le chant classique) mais dépasse rarement ces valeurs [Caroll, 1996 ; Amy de la Bretèque, 2004]. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir une réserve d’air énorme pour tenir une conversation de base et pour chanter un morceau (excepté dans le chant classique).
De plus, la prise d’une quantité d’air trop importante ne sera non seulement pas nécessaire à la production sonore mais même contre-productive. En effet, ce qui va produire la vibration sonore, c’est la résolution du conflit entre les forces biomécaniques de contact des cordes vocales (degré de contraction du TA, du CAL, des IA et élasticité des CV) et les forces aérodynamiques de pression sous glottique (PSG). La vibration elle-même étant passive [Giovanni, 2014].
Au début, la glotte est fermée : au-dessus on a la pression atmosphérique et en dessous, on a la pression des poumons : la pression des poumons (PSG) est plus forte que celle atmosphérique du fait de la réduction du volume pulmonaire par les muscles expirateurs. La PSG pousse sur les parois et cherche à écarter les CV : il y a d’un côté les muscles qui ferment la glotte et de l’autre la pression qui ouvre les CV. L’air va forcer son passage entre les CV en les écartant et un puff d’air va être produit. La PSG va diminuer et la force de fermeture de la glotte va reprendre le dessus, la glotte va se refermer : il va y avoir ainsi un cycle de fermeture et d’ouverture.
En voix conversationnelle, la PSG attendue est située entre 5 et 8Hpascal. Un patient qui présente une dysphonie dysfonctionnelle a souvent une mauvaise gestion de ses muscles expirateurs (mise en jeu des grands droits) ce qui a tendance à augmenter sa PSG : elle est souvent au-delà de 10 Hpascal en voix conversationnelle [Giovanni, 2000]. Chez les chanteurs professionnels, on note une dynamique beaucoup plus grande de cette pression sous-glottique allant de 20 à 30 Hp chez des chanteurs d’opéra [Sundberg, 1999] mais des étendues moindres chez des chanteuses de théâtre musical [Bjorkner, 2006]. Les chanteurs auront aussi tendance à augmenter la PSG en cas de mauvaise gestion, parfois la hausse de cette PSG sera nécessaire au style de chant. Cette hausse de pression sera d’autant plus importante si on apprend au patient à remplir son réservoir au maximum avant de parler ou de chanter et les cordes vocales devront d’autant plus résister à cette pression, favorisant le risque de phono traumatisme.
L’idée d’apprendre à respirer
Mais alors, d’où nous vient cette idée qu’en rééducation vocale, il faut « apprendre à respirer ». Cette idée vient de deux faits :
- On a voulu plaquer la respiration de la pédagogie du chant, et pas n’importe quel chant, le chant lyrique, à la respiration conversationnelle, avec l’idée louable que qui peut le plus, peut le moins.
- On décrit parfois chez les patients qui présentent un forçage vocal une respiration thoracique supérieure avec mise en jeu lors de l’inspiration des inspirateurs accessoires (scalène, trapèze, SCM) et à l’expiration des grands droits qui par leur insertion, tendent à fermer rapidement la cage thoracique avec une remontée brutale du diaphragme ce qui empêche d’avoir une PSG constante et tend à l’augmenter, comme dit précédemment.
En rééducation, pour améliorer la situation, la mise en jeu d’une respiration abdominale semblait être la bonne solution. Sauf que la respiration en voix conversationnelle et dans certains types de chant, n’est pas abdominale mais thoraco-abdominale ou costo-diaphragmatique et parfois thoracique supérieure comme dans le chant country [Hoit, 1996] et parfois dans le chant belting.
Penser que la respiration abdominale va être fonctionnelle dans tous les types d’utilisation vocale reviendrait à dire en athlétisme, si tu sais faire du saut en hauteur, tu sauras performer dans tous les autres types de sauts. Mettre en jeu une respiration thoracique supérieure dans la parole crée un déséquilibre fonctionnel mais le compenser par une respiration abdominale crée un autre déséquilibre, qui n’est pas plus indiqué.
Les types respiratoires dans les différents styles de chant
Pourquoi, la respiration est dite abdominale dans le chant lyrique, ce mode respiratoire correspond en inspiration à un relâchement abdominal, entraînant la descente du diaphragme [Thomasson, 2001], les muscles intercostaux externes vont ouvrir les côtes permettant un élargissement de la cage thoracique avec la mise en jeux de muscles de la posture : le petit dentelé qui permet une ouverture costale dans le sens latéral et les para-vertébraux qui allongent les vertèbres ce qui ouvre la cage thoracique dans le sens vertical. La quantité d’air inspiré sera ainsi plus importante, de l’ordre de 1000 à 1500 ml contre 500 ml au repos [Scotto Di Carlo, 1991]. Dans le chant lyrique, la durée des rhèses peut dépasser 20 secondes. Pour économiser le souffle phonatoire, la pression sous-glottique doit faire l’objet d’un réglage permanent grâce à l’action des abdominaux [Watson, 1989 ; Lassalle, 2002] pour permettre le soutien expiratoire [Sataloff, 1981]. Cette respiration abdominale a pour avantage aussi d’abaisser le diaphragme est par extension le larynx qui se retrouve positionné au bon endroit dans ce type de chant pour l’émission sonore.
On ne retrouve pas ce mode respiratoire dans les autres styles de chant. Dans le chant country, le comportement respiratoire ressemble à celui de la parole. Il n’y a pas de mise en place de soutien respiratoire proprement dit, c’est un style musical ou les troubles vocaux restent importants cependant [Hoit, 1996]. Dans le chant belting, on ne retrouve pas non plus de mouvements respiratoires spécifiques mais une pression sous glottique plus élevé, une intensité sonore plus forte et une adduction glottique plus importante que dans le chant de variété [Sundberg, 2015]. De plus, l’observation en vidéo-fluorescence de chanteurs de belting montre une production vocale avec une position haute du larynx associée à un espace pharyngé réduit, un rétrécissement des vallécules ainsi qu’une position plus basse du voile du palais [Popeil, 1999]. Ces éléments physiologiques rapprochent le belting d’une phonation hyperfonctionnelle [Estill, 1988], certaines équipes allant jusqu’à qualifier ces chanteurs de « high-risk vocal performers » ou chanteurs à haut risque. La respiration costo-diaphramatique voire thoracique supérieure permet de maintenir son larynx en position haute ce qui est la position attendue dans ce style de chant.
En pratique, ça signifie que pour rendre le geste vocal fonctionnel, il faudra l’aborder dans toutes les fonctionnalités dont le patient a besoin et équilibrer le geste en respectant le type respiratoire qui est nécessaire à chacune de ces fonctionnalités [Amy de la Bretèque, 2000].
Il faudra penser à aborder les prises en charge pas uniquement par la porte d’entrée « soufflerie » mais aussi par celle du « vibrateur » ou de la « résonance ». Ce qui permettra d’instaurer un geste adapté de façon insidieuse et non conscientisé. A terme, le geste vocal sera mieux calibré et le transfert à une utilisation quotidienne se fera plus facilement.
Bibliographie
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- Titze IR. The human instrument. Sci Am. 2008 Jan;298(1):94-101. doi: 10.1038/scientificamerican0108-94. PMID: 18225701.
- Caroll LM, Sataloff RT, Heuer RJ, Spiegel JR, Radionoff SL, Cohn JR. Respiratory and glottal efficiency measures in normal classically trained singers. JVoice 1996 ; 10 : 139-145
- Amy de la Bretèque B. et Cayreyre F. Le Bilan vocal du chanteur [Section] // Le Bilan d’une dysphonie : état actuel et perspectives / auteur du livre GIOVANNI A. – Cahors : Solal, 2004.
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