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Entre neuro et création de matériel, avec Lucie de “Jardin d’Ortho”

Entre neuro et création de matériel, avec Lucie de “Jardin d’Ortho”

Par So Spitch

Cet échange est extrait du podcast Orthospower #93 : Lucie Cambrai y reçoit Lucie, orthophoniste en libéral spécialisée en neurologie adulte. Elle est également la créatrice de Jardin d’Ortho, un site et un compte Instagram où elle partage du matériel de rééducation, dont une partie gratuitement. Lucie raconte son parcours, son organisation et son processus de création.

Lucie Cambrai : Bonjour Lucie ! Je suis ravie de t’accueillir dans Orthospower. On s’est croisées récemment lors d’un événement, mais je te suis déjà depuis un moment sur les réseaux. Tu as un compte Instagram qui fonctionne très bien, Jardin d’Ortho, qui apporte énormément aux orthophonistes. Tu y parles neurologie adulte, partage de matériel gratuit et aussi d’une boutique en ligne. Alors, comment fais-tu pour gérer tout ça ? Est-ce que tu peux nous raconter la genèse de ton parcours et ton organisation ?

Lucie : Merci beaucoup. Alors, si je dois me présenter rapidement, j’ai 31 ans. Je travaille en libéral depuis 2020, mais j’ai commencé par l’hôpital. C’est vraiment là que la création de matériel a pris forme. Je fais exclusivement de la neurologie adulte depuis toujours. Je n’ai jamais pris en charge d’enfants. J’ai fait deux stages en pédopsy, mais à part ça, j’ai toujours orienté mon parcours vers la neuro.

Lucie Cambrai : Ah oui, donc c’était un choix très clair dès le départ.

Lucie : Exactement. Et même avant d’entrer en école, j’avais déjà un pied dans ce domaine. Juste avant la prépa, on nous avait demandé de lire une liste de livres. J’en ai lu un seul qui m’a marqué : L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau d’Oliver Sacks. Je l’ai commencé en pensant que c’était un roman de science-fiction, tellement les cas cliniques paraissaient incroyables. En réalité, c’étaient de vrais cas neurologiques. Je crois que je suis tombée amoureuse de la neurologie adulte ce jour-là. Depuis, je n’ai plus fait que ça.

Lucie Cambrai : Donc c’est vraiment une passion qui est née avant même les études.

Lucie : Oui. J’ai fait mes stages essentiellement en neurologie, j’ai cherché à accumuler des heures dans ce domaine. À l’époque, c’était encore quatre ans d’études, donc on avait un peu plus de flexibilité. J’ai fait le minimum en pédopsy, mais des centaines d’heures en neurologie adulte.

Lucie Cambrai : Et c’est à l’hôpital que tu as commencé à créer du matériel ?

Lucie : Oui. J’ai travaillé en SSR neuro-adulte. J’y voyais uniquement des patients neurologiques. Rapidement, je me suis rendu compte que beaucoup de collègues n’avaient qu’un ou deux patients adultes et utilisaient du matériel pour enfants en l’adaptant. Ce n’était pas forcément adapté, ni en termes d’objectifs, ni en termes d’image pour un adulte. Alors j’ai commencé à créer mes propres supports, d’abord pour moi, puis j’ai eu envie de les partager.

Lucie Cambrai : C’est quelque chose qui m’impressionne beaucoup. Créer du matériel, c’est un processus particulier. Comment ça s’est passé pour toi au début ?

Lucie : Créer du matériel, c’est assez simple. Mais créer un bon matériel, c’est difficile. On peut ouvrir PowerPoint, mettre quelques images et se dire que c’est fait. Mais pour que ça fonctionne, il faut penser à énormément de paramètres : l’objectif de rééducation, le niveau de difficulté, la forme (cartes, plateau, livret…), la lisibilité, les images. Personnellement, j’adore l’informatique et la mise en page. Je peux passer des heures à chercher des visuels, à agencer, à tester des formats. Mais ce qui déclenche toujours la création, c’est un patient. Je pars d’un besoin clinique.

Lucie Cambrai : Donc tu pars vraiment de la pratique.

Lucie : Toujours. Un patient ou parfois une collègue me dit : « J’ai ce cas-là, mais je n’ai rien d’adapté ». Je crée alors un support. Ensuite, je teste. En général, je sais rapidement si ça fonctionne ou pas. Quand ça ne marche pas, c’est souvent un problème de niveau : trop facile ou trop difficile. Ou alors le patient n’adhère pas. Mais quand ça marche, ça se voit tout de suite.

Lucie Cambrai : Tu testes aussi avec des collègues ?

Lucie : Avant oui, davantage quand je travaillais en bureau partagé. Aujourd’hui un peu moins. Mais même seule, je vois rapidement si un matériel est pertinent.

Lucie Cambrai : Et le temps de création ?

Lucie : C’est très variable. Certains matériels prennent une semaine, d’autres trois mois ou plus. J’ai aussi beaucoup de projets laissés de côté puis repris plus tard. Parfois plusieurs années après.

Lucie Cambrai : Tu as aujourd’hui une vraie bibliothèque de matériels. Comment as-tu choisi le format de diffusion ?

Lucie : Je propose uniquement des supports numériques. Les orthophonistes peuvent les acheter, les télécharger et les imprimer. Je voulais éviter la gestion de colis. Et surtout, je voulais que ça reste accessible : la plupart de mes matériels coûtent entre 10 et 12 euros. J’essaie aussi de proposer régulièrement du gratuit. Entre chaque nouveauté payante, je publie un support gratuit.

Lucie Cambrai : Oui, c’est quelque chose de très apprécié. Tu proposes aussi quelques fiches théoriques.

Lucie : Oui, au début j’avais fait des fiches sur l’AVC, sur la mémoire. L’idée était d’avoir des supports clairs et visuels pour les patients et leurs proches. Mais je me suis recentrée ensuite sur le matériel, car je ne peux pas tout faire.

Lucie Cambrai : Tu continues d’exercer en cabinet en parallèle. Comment organises-tu tes semaines entre la pratique et la création ?

Lucie : Je travaille deux jours et demi à trois jours par semaine au cabinet. C’est indispensable pour moi : sans patients, je ne pourrais pas créer. Pour la création, je n’ai pas de planning fixe. Je fonctionne à l’envie. Si j’ai une idée, je peux travailler le week-end ou entre deux patients. Mais si je n’ai pas envie, je ne produis rien. Forcer ne sert à rien.

Lucie Cambrai : Je comprends, je fonctionne un peu comme toi. On entend souvent parler de rigueur, de journées cadrées. Mais ce n’est pas toujours adapté.

Lucie : Exactement. L’organisation stricte n’est pas pour moi. En revanche, pour l’administratif, je m’impose un système : je rends le compte rendu au patient quinze jours après le bilan. Comme je le dis à l’oral, je suis obligée de m’y tenir.

Lucie Cambrai : Revenons à ton parcours de formation. Tu as suivi un DU en neurologie, n’est-ce pas ?

Lucie : Oui, à Paris. J’ai été diplômée en 2016, dans une école déjà très axée neuro et neuropsychologie. Ensuite, j’ai fait le DU « Approche théorique et clinique », très centré sur les pathologies neurodégénératives et le diagnostic différentiel. C’était plus une validation de mes acquis qu’un apprentissage totalement nouveau. Mais c’est indispensable pour exercer en libéral à 100 % en neurologie.

Lucie Cambrai : Pourquoi ?

Lucie : Parce qu’on ne peut pas se limiter aux aphasies. Il faut savoir prendre en charge aussi des troubles cognitifs sans troubles du langage. Comprendre les aspects de raisonnement, de mémoire, c’est essentiel. Sinon, la rééducation reste partielle.

Lucie Cambrai : Tu as aussi connu la différence entre pratique hospitalière et libérale. Qu’est-ce que ça t’a appris ?

Lucie : À l’hôpital, on voit les patients en phase initiale. Ils progressent rapidement, parfois spontanément. C’est valorisant, mais on ne sait pas toujours si la progression vient de nous ou de la récupération naturelle. En libéral, on voit souvent les patients plus tard. C’est plus difficile, les progrès sont lents, mais quand ils arrivent, on sait que c’est grâce à la rééducation. C’est très valorisant.

Lucie Cambrai : Tu aurais une anecdote de suivi marquant à partager ?

Lucie : Oui, deux. À l’hôpital, j’ai suivi un patient mutique après une hémorragie cérébrale. Pendant trois mois, aucun progrès. J’ai fini par conclure que c’était perdu. En libéral, une collègue a repris ce patient et a travaillé de façon très ciblée sur une liste de mots. Résultat : il a fini par en produire quelques-uns. Ça m’a donné une vraie claque : je m’étais arrêtée trop tôt. L’autre exemple est inverse : j’ai eu des patients qui ont progressé deux ans après un AVC. Des progrès modestes, mais significatifs. Là, j’ai su que c’était le fruit du travail acharné.

Lucie Cambrai : Quelle leçon en as-tu tiré ?

Lucie : Que la persévérance est la clé. La rééducation demande de répéter, encore et encore, parfois les mêmes exercices. Même si on est tenté de passer à autre chose, il faut parfois insister. En neurologie adulte, c’est souvent le facteur décisif.

Lucie Cambrai : Selon toi, quelle est la spécificité et le « super pouvoir » des orthophonistes ?

Lucie : Notre spécificité, c’est le langage, dans toutes ses dimensions. Et notre super pouvoir, c’est la persévérance. Savoir répéter, tenir sur la durée, ne pas abandonner.

Merci à Lucie pour ce témoignage riche sur la pratique en neurologie adulte et la création de matériel.
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