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Prise en soin des patients Alzheimer : des repères pour un vrai projet thérapeutique

Prise en soin des patients Alzheimer : des repères pour un vrai projet thérapeutique

Par So Spitch

En tant qu’orthos, on peut être amenées à recevoir des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Et soyons honnêtes : ces prises en soins nous mettent parfois en difficulté. On jongle entre différents supports, on teste des exercices, mais sans toujours savoir si on répond vraiment aux besoins du patient. Il nous manque des repères méthodologiques pour construire un projet thérapeutique cohérent. Et face à l’évolution inéluctable de la maladie, on se sent parfois démunies.

Cet article pose un regard franc sur ces difficultés récurrentes et présente les grandes pistes d’intervention dont on dispose pour structurer nos séances, cibler nos objectifs et coordonner nos actions avec l’entourage et le réseau de soins.

Un manque de structuration et de cohérence

L’une des principales difficultés que nous rencontrons, c’est l’absence de fil conducteur entre les séances. On ne met pas toujours de lien d’une séance à une autre. On change sans cesse de support, de cibles de traitement, sans mettre en place de thérapie vraiment précise. On s’inspire de quelques fiches ou supports, mais sans structuration réelle…

Résultat : nos séances manquent de cohérence, et nous ne savons pas toujours mesurer leur impact sur le long terme.

Cette désorganisation peut s’expliquer par plusieurs facteurs : un manque de formation sur la maladie d’Alzheimer (ou des cours trop lointains), la difficulté à anticiper l’évolution des troubles, ou encore l’impression que chaque patient est tellement différent qu’aucun protocole ne peut vraiment s’appliquer. 

Nous ne ciblons pas toujours les vrais besoins

Autre écueil fréquent : nous faisons des séances de stimulation globale sans lien direct avec les besoins réels du patient. Nous proposons des exercices de mémoire, de langage ou de cognition, certes utiles, mais qui ne répondent pas forcément à la plainte initiale ou aux difficultés concrètes rencontrées au quotidien.

Nous ne répondons pas toujours à la plainte du patient, et nous ne l’impliquons pas suffisamment dans la co-construction du projet thérapeutique. Un patient qui vit seul et qui ne parvient plus à téléphoner à ses proches aura des besoins très différents d’une personne qui vit en couple et dont l’enjeu principal est de maintenir la conversation avec son conjoint.

Si nous ne prenons pas le temps de définir des objectifs fonctionnels, ancrés dans le quotidien, nos séances risquent de rester théoriques et déconnectées de la vraie vie. Et le patient, lui, continue de souffrir de difficultés que nous n’abordons pas directement.

Le travail en vase clos

Beaucoup d’entre nous travaillons en vase clos, sans inclure suffisamment l’entourage ou les autres professionnels de santé.

Or, dans la maladie d’Alzheimer, l’aidant est au cœur du soin. C’est lui qui observe au quotidien, qui rapporte les évolutions, qui met en pratique nos recommandations. Si nous ne le considérons pas comme un véritable partenaire thérapeutique, nous nous privons d’un levier essentiel pour maintenir les acquis et favoriser la généralisation.

De plus, sans coordination avec le médecin généraliste, le neurologue, le psychologue, l’ergothérapeute ou l’assistant social, nous risquons de proposer des interventions qui ne s’inscrivent pas dans une cohérence globale. Le patient et sa famille se retrouvent alors à naviguer entre des professionnels qui ne se parlent pas, et cela génère de la confusion, de la fatigue et parfois même de la perte de confiance.

La variabilité des symptômes

Enfin, nous devons composer avec la variabilité des symptômes et la fatigue cognitive du patient. Certains jours, le patient est disponible, coopérant. D’autres jours, il est fermé, fatigué, voire agité. Cette imprévisibilité complique la mise en place d’une routine thérapeutique stable.

Par ailleurs, lorsque le patient est isolé, nous manquons parfois de fiabilité des éléments apportés. Nous devons alors nous appuyer sur des informations parcellaires, ce qui rend l’évaluation et le suivi plus difficiles.

Face à tous ces défis, il peut arriver que l’on évite carrément de prendre ces patients, faute d’outils et de savoir-faire. 

Les solutions existent : structurer, cibler, coordonner

Il existe pourtant des approches éprouvées qui permettent de mieux structurer nos interventions et de répondre plus précisément aux besoins des patients atteints de la maladie d’Alzheimer.

Des protocoles pour le langage

Pour travailler le manque du mot, un des symptômes prégnants dans la maladie d’Alzheimer, nous pouvons nous appuyer sur des protocoles validés qui permettent d’activer de manière ciblée les réseaux sémantiques et phonologiques. Ces protocoles suivent une séquence bien structurée, avec des étapes claires, reproductibles, qui permettent de mesurer les progrès et d’ancrer un schéma d’étayage cognitif que le patient pourra réutiliser en autonomie.

Il existe également des adaptations de ces protocoles pour travailler les verbes, favoriser le transfert au discours, ou encore pour cibler spécifiquement les aspects phonologiques. Ces variantes montrent la richesse de ces approches, qui peuvent être ajustées en fonction du type de cible à travailler et du profil du patient.

Des interventions syntaxiques adaptées

Chez les patients Alzheimer, les troubles syntaxiques peuvent apparaître et compliquer la production de phrases. Il existe des thérapies qui visent à réentraîner le patient à faire le lien entre les rôles thématiques (qui fait quoi à qui) et les fonctions syntaxiques (sujet, objet). L’idée est de clarifier, expliciter et renforcer le lien entre syntaxe et sens.

D’autres encore permettent de travailler la production de phrases complexes de manière progressive. Ces approches peuvent être adaptées aux patients Alzheimer, surtout aux stades léger et modéré, pour maintenir et stimuler leurs capacités syntaxiques.

Des interventions cognitives

Les fonctions exécutives, attentionnelles et mnésiques sont souvent touchées précocement dans la maladie d’Alzheimer. Nous devons donc cibler ces fonctions dans nos prises en soins, avec des exercices spécifiques qui permettent de stimuler l’inhibition, la flexibilité mentale, la planification, l’attention soutenue, sélective et divisée, ainsi que la mémoire de travail.

Un entraînement spécifique de ces fonctions peut améliorer les performances cognitives et parfois même la qualité de vie. Il est possible d’aider le patient à s’auto-réguler, à structurer ses actions, à anticiper et à vérifier. Ces solutions peuvent être appliquées à des tâches de la vie quotidienne et favorisent l’autonomie.

Intervenir sur la pragmatique

La communication est au cœur de notre intervention. Dès les stades légers à modérés, nous pouvons observer des troubles qui touchent l’échange relationnel, renforcent l’isolement et génèrent de la frustration. Nos objectifs thérapeutiques sont donc de maintenir les capacités expressives et compréhensives aussi longtemps que possible, soutenir les relations, favoriser une communication efficace au quotidien, en lien avec l’aidant, et préserver l’identité et l’estime de soi de la personne.

Il existe des stratégies de communication facilitée qui permettent de réduire la charge cognitive dans l’échange, ainsi que des méthodes structurées qui recréent des situations de communication naturelle, où le patient peut utiliser tous les moyens disponibles : parole, gestes, mimiques, dessin, écriture. Ces approches favorisent le maintien des capacités pragmatiques et permettent de travailler dans des contextes écologiques, proches de la vraie vie.

Prendre en soin les troubles de la déglutition

Les patients Alzheimer peuvent présenter des troubles de la déglutition, liés à une amyotrophie globale, une baisse de la force musculaire et un ralentissement cognitif. Notre rôle est donc d’adapter l’alimentation, de guider l’entourage et de prévenir les complications.

Il existe des recommandations précises sur l’environnement du repas, l’installation du patient, l’aide humaine, le matériel adapté et les textures alimentaires. Ces adaptations permettent de sécuriser la déglutition et de préserver le plaisir de manger, même avec des textures modifiées.

Accompagner les aidants

Les aidants sont au centre du parcours de soins. Ils détiennent souvent des informations précieuses sur l’évolution du patient. Leur rôle est central pour permettre le maintien à domicile, mais il est aussi non rémunéré et souvent épuisant. Fatigue chronique, troubles dépressifs, isolement, tensions familiales, difficultés financières : les répercussions sont considérables.

Nous devons donc soutenir les aidants en leur transmettant des stratégies de communication facilitée, en les impliquant dans nos séances, en leur proposant des outils concrets. Il existe de nombreux dispositifs de soutien : associations spécialisées, plateformes de répit, formations spécifiques. Nous devons connaître ces ressources pour les orienter efficacement.

L’approche écosystémique repose sur cette idée : ce n’est pas seulement le patient que nous rééduquons, c’est aussi son environnement que nous ajustons. L’aidant devient un véritable co-thérapeute.

Travailler en réseau

Accompagner un patient Alzheimer, c’est toujours travailler en équipe. Le médecin généraliste, le neurologue, le psychologue, les infirmiers, l’ergo, etc. : chacun a un rôle complémentaire. Nous, orthophonistes, nous pouvons être un véritable trait d’union.

Nous sommes souvent les premiers témoins d’une évolution préoccupante, nous pouvons alerter, proposer des adaptations concrètes et collaborer à l’élaboration d’un projet personnalisé de soins. Ce travail interdisciplinaire permet d’éviter les ruptures de parcours, les incohérences et rend la prise en charge plus humaine.

Conclusion : il est temps de structurer nos prises en soins

Les prises en soins des patients atteints de la maladie d’Alzheimer ne doivent plus reposer sur des séances de stimulation globale sans fil d’Ariane. Nous avons aujourd’hui accès à des protocoles structurés, validés, qui permettent de cibler précisément les troubles et de mesurer les progrès.

Nous avons aussi compris que notre intervention ne peut être isolée. Elle doit s’inscrire dans une démarche écosystémique, qui inclut l’aidant comme partenaire thérapeutique et qui s’articule avec les autres professionnels du réseau.

Structurer, cibler, coordonner : ces trois mots résument l’essentiel de ce que nous devons viser pour accompagner réellement nos patients et leurs proches, tout au long de l’évolution de la maladie.

Pour aller plus loin dans vos prises en soin avec ces patients, la formation La maladie d’Alzheimer avec Fanny Abadjian et Delphine Lavoix sort en e-learning le 11 décembre sur so-spitch.fr.