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Comprendre et accompagner les troubles de l’audition centrale

Comprendre et accompagner les troubles de l’audition centrale

Par So Spitch

Eva est orthophoniste et passionnée par l’audition centrale. Dans cet échange issu du podcast Orthospower avec Lucie Cambrai, elle aborde la définition de ces troubles, leur dépistage, leurs conséquences au quotidien et l’importance d’une prise en soin adaptée.

Lucie : Eva, merci d’avoir accepté mon invitation. Pour commencer, peux-tu te présenter et expliquer ton parcours ?

Eva : Avec plaisir. J’ai commencé ma carrière en libéral, puis assez vite je me suis tournée vers des prises en charge plus spécifiques. J’ai toujours eu un attrait pour tout ce qui touche à la cognition, aux liens entre langage, mémoire, attention. Et c’est ce qui m’a amenée à m’intéresser de près aux troubles de l’audition centrale.

Au départ, j’ai été confrontée à des enfants qui avaient des difficultés scolaires importantes, mais chez qui les bilans auditifs étaient normaux. Pourtant, quelque chose ne collait pas. Je me suis formée, j’ai beaucoup lu, et j’ai découvert ce champ de l’audition centrale, encore trop méconnu.

Lucie : Justement, qu’est-ce que recouvre ce terme d’« audition centrale » ?

Eva : On parle de la manière dont le cerveau traite les sons. L’audition périphérique, c’est l’oreille : capter le son, le transmettre. L’audition centrale, c’est comment le cerveau va analyser ces sons, les décoder, les discriminer, les mémoriser, les utiliser dans le langage.

Un enfant peut donc avoir une audition périphérique normale, mais des difficultés importantes dans le traitement central. Et ces difficultés se répercutent dans les apprentissages, dans la communication, dans l’attention.

Lucie : Comment ça se manifeste concrètement ?

Eva : Les parents décrivent souvent des enfants qui entendent, mais qui « n’écoutent pas ». Ils peuvent dire : « Il fait répéter tout le temps », « Il confond des sons », « Il a du mal à suivre une conversation dans le bruit ».

En classe, on observe une fatigabilité très importante, une lenteur dans les tâches, des erreurs de compréhension. Certains enfants semblent inattentifs, alors qu’en réalité ils font des efforts énormes pour compenser. Et cela entraîne beaucoup de frustration et parfois des troubles du comportement.

Lucie : On comprend donc que ce n’est pas un simple problème d’oreille. Comment les parents ou les enseignants peuvent-ils suspecter un trouble de l’audition centrale ?

Eva : Il y a plusieurs signaux d’alerte :

  • L’enfant a passé un bilan auditif qui est normal, mais les difficultés persistent.
  • Il fait répéter systématiquement.
  • Il confond des consignes simples.
  • Il a du mal à localiser un son.
  • Dans le bruit, il est complètement perdu.

Souvent, les enseignants disent : « Il n’écoute pas », « Il est rêveur », « Il n’est pas concentré ». Mais en fait, c’est un problème de traitement auditif.

Lucie : Comment se fait le diagnostic ?

Eva : En France, le diagnostic est posé par un médecin ORL spécialisé. Il existe des batteries de tests spécifiques, qui évaluent la discrimination, la mémoire auditive, la compréhension dans le bruit, la localisation.

Le problème, c’est que ces bilans sont encore rares. Peu de centres sont équipés, peu de praticiens formés. Donc beaucoup d’enfants passent à côté. En orthophonie, nous pouvons repérer les signes, orienter, et ensuite travailler en rééducation sur les stratégies de compensation et de traitement.

Lucie : Et quels profils d’enfants rencontres-tu le plus souvent ?

Eva : C’est très varié. Il y a des enfants avec un trouble spécifique de l’audition centrale, isolé. Mais souvent, il y a des comorbidités : troubles du langage oral, troubles de l’attention, troubles « dys ».

Parfois, ce sont des enfants qui ont eu des otites séreuses à répétition dans la petite enfance. L’oreille a fonctionné de manière fluctuante, et le cerveau a eu du mal à construire des représentations auditives stables. On retrouve aussi des enfants qui ont eu un retard de langage massif, et pour qui l’audition centrale joue un rôle.

Lucie : Tu parles de fatigabilité. Peux-tu préciser ?

Eva : Oui. Quand un enfant doit fournir un effort constant pour décoder les sons, il se fatigue beaucoup plus vite que ses camarades. Imagine un élève qui doit déchiffrer chaque mot comme si c’était nouveau. C’est épuisant.

Dans une journée d’école, l’enfant avec un trouble de l’audition centrale dépense une énergie énorme. À la fin, il peut être irritable, démotivé, parfois en opposition. Certains développent même une phobie scolaire.

Lucie : Comment réagissent les familles quand on leur explique ça ?

Eva : Souvent, c’est un soulagement. Beaucoup de parents se disent : « Ah, donc ce n’est pas qu’il n’écoute pas exprès ».Cela change le regard porté sur l’enfant. On sort de l’idée de la paresse ou de la mauvaise volonté.

Ensuite, il y a aussi de l’inquiétude : comment l’aider, quelles perspectives pour l’école ? Mais au moins, il y a une explication cohérente.

Lucie : Quels outils utilises-tu dans ta rééducation ?

Eva : Il y a deux axes. Le premier, c’est de travailler les compétences auditives : implique discrimination de sons proches, mémorisation de séquences, exercices dans le bruit. Le second, c’est de développer les stratégies de compensation : s’aider du visuel, demander de reformuler, organiser l’information.

On peut utiliser des logiciels spécifiques, des jeux, mais aussi beaucoup d’exercices papiers, adaptés au quotidien de l’enfant.

Lucie : Et du côté de l’école, des adaptations sont-elles possibles ?

Eva : Oui, et elles sont très importantes. Par exemple :

  • Placer l’enfant devant, près de l’enseignant.
  • Limiter le bruit ambiant autant que possible.
  • Donner les consignes à l’écrit et à l’oral.
  • Découper les consignes longues.
  • Vérifier la compréhension.

Parfois, un micro HF peut être proposé : l’enseignant parle dans un micro, et l’enfant reçoit le son directement dans ses oreilles, sans bruit parasite. Mais cela reste rare en pratique.

Lucie : Quels sont les risques si on ne prend pas en charge ces enfants ?

Eva : Les conséquences sont lourdes. On peut voir un décrochage scolaire progressif, une baisse de l’estime de soi, des troubles du comportement, parfois des diagnostics erronés (TDAH, trouble oppositionnel) alors que l’origine est auditive.

Il y a aussi un risque de déscolarisation. Certains enfants n’arrivent plus à suivre et perdent toute motivation. C’est dramatique, alors que des adaptations simples peuvent changer leur parcours.

Lucie : Tu parlais tout à l’heure de liens avec d’autres troubles. Est-ce que tu peux développer ?

Eva : Oui. On retrouve souvent des troubles du langage écrit : dyslexie, dysorthographie. Forcément, si la base auditive est fragile, l’entrée dans le code écrit l’est aussi.

Il y a aussi des liens avec les troubles de l’attention. Quand le cerveau est saturé par le décodage auditif, il reste moins de ressources pour maintenir l’attention. Parfois, on pense à un trouble attentionnel primaire, alors que c’est secondaire à l’audition centrale.

Lucie : Comment se passent les collaborations avec les médecins ?

Eva : Elles sont indispensables. Le diagnostic relève de l’ORL, donc il faut travailler main dans la main. Mais il y a encore un manque de connaissance du trouble. Beaucoup de médecins ne l’abordent pas, ou disent aux parents : « L’audition est normale », sans aller plus loin.

Il y a un vrai besoin de sensibilisation. Les orthophonistes ont un rôle central pour repérer, alerter, expliquer. Nous sommes souvent les premières à entendre les inquiétudes des familles.

Lucie : Quels conseils donnerais-tu aux orthophonistes qui souhaitent s’y intéresser ?

Eva : D’abord, lire, se documenter. Les publications existent, même si elles sont encore peu connues. Ensuite, observer les enfants : les signes cliniques sont parlants quand on les connaît.

Ensuite, ne pas hésiter à travailler avec les ORL, à demander des bilans spécifiques, à insister quand les parents disent : « On a fait un test auditif, c’était normal ». Parce que ce n’est pas suffisant.

Et enfin, dans nos prises en soin, on a déjà beaucoup d’outils transférables : mémoire auditive, attention, stratégies. Ce n’est pas un champ totalement nouveau, mais une manière différente de penser nos objectifs.

Lucie : Est-ce que tu peux donner un exemple concret d’évolution positive chez un enfant que tu as suivi ?

Eva : Oui. Je pense à une fillette suivie dès la maternelle. Sa maman craignait une dyslexie, car elle-même en avait souffert. Le bilan montrait de bonnes compétences globales, mais quelque chose coinçait en phonologie. En creusant, nous avons orienté vers un bilan d’audition centrale et mis en place une rééducation spécifique.

Cette enfant avait tendance à inventer des mots très logiques mais décalés, comme « extinct-feu » pour désigner un extincteur. Ces confusions venaient du traitement auditif central. Avec le travail en métaphonologie, en attention auditive et dans le bruit, les progrès ont été nets. Elle a conservé son humour et sa créativité verbale, mais ses compétences scolaires se sont stabilisées et elle a gagné en confiance.

Lucie : C’est très parlant. Et pour les adolescents, est-ce que le trouble évolue ?

Eva : Oui, avec l’âge, certains enfants développent des stratégies spontanées. Ils s’appuient plus sur l’écrit, sur le visuel. Mais la fatigue reste. Et parfois, à l’adolescence, cela explose : le collège est bruyant, les consignes plus complexes.

On voit alors des jeunes en grande difficulté, parfois en décrochage, alors qu’on aurait pu intervenir plus tôt. C’est pourquoi le dépistage précoce est essentiel.

Lucie : Et chez l’adulte, retrouve-t-on ces troubles ?

Eva : Oui, il existe aussi des troubles de l’audition centrale acquis, par exemple après un traumatisme crânien, un AVC, ou dans certaines pathologies neurodégénératives. Là encore, l’orthophonie a un rôle important.

Mais c’est vrai que le grand public connaît surtout l’audition périphérique, les appareils auditifs, et pas l’audition centrale. C’est un champ à développer.

Lucie : Pour conclure, qu’aimerais-tu dire aux orthophonistes qui nous écoutent ?

Eva : Que l’audition centrale mérite d’être mieux connue. C’est un champ passionnant, qui change notre regard sur beaucoup d’enfants qu’on qualifie d’inattentifs ou de peu motivés.

Nous avons un rôle essentiel pour repérer, accompagner, expliquer. Et même si le diagnostic médical n’est pas encore largement disponible, nous pouvons déjà agir, mettre en place des stratégies et changer le quotidien de ces enfants.

Lucie : Merci beaucoup Eva pour cet échange riche et très concret.

Eva : Merci à toi, Lucie.

👉 Pour écouter l’entretien complet avec Eva, utilisez le lecteur ci-dessous ou rendez-vous sur votre plateforme de podcast favorite.